
La route Trans-Papua menaçant la biodiversité de la Papouasie occidentale
By Dyna Rochmyaningsih
Il y a dix-sept ans, la botaniste Miriam van Heist de l’université de Wageningen et une équipe de collaborateurs locaux ont commencé à explorer la diversité végétale dans les montagnes de Foja, en Nouvelle-Guinée occidentale. C’était un royaume inconnu : sur les 487 espèces qu’ils ont trouvées, près d’un tiers n’avait jamais été décrit nulle part. « Les résultats montrent jusqu’à quel point la végétation de la Nouvelle-Guinée reste inconnue », ont écrit les auteurs dans un article publié en 2010. Les auteurs ont conclu que d’autres études de ce type étaient nécessaires « afin que la conservation puisse être planifiée avant que les menaces ne soient pas imminentes – sinon, nous risquons de perdre des espèces sans jamais savoir ce que nous avons perdu ».
Ces menaces sont maintenant arrivées, selon une étude basée sur l’imagerie satellite et les cartes des gouvernements locaux, publiée le mois dernier dans « Biological Conservation ». Entre 2001 et 2019, 2 % des forêts anciennes de Nouvelle-Guinée occidentale ont été déboisées pour faire place à des plantations d’huile de palme, des routes, des mines et des villes. Et le rythme du développement est destiné à s’accélérer, ont conclu les chercheurs. Le Trans-Papua, un réseau routier en cours de construction qui reliant les zones urbaines principales, pourrait accélérer le développement de façon spectaculaire.
La Nouvelle-Guinée occidentale, également connue en tant que Nouvelle-Guinée indonésienne ou Tanah Papua, est encore largement intacte. Elle présente une variété étonnante de paysages – mangroves, savanes, forêts de plaine, prairies alpines, et glaciers tropicaux – et une multitude d’espèces endémiques, dont 29 espèces d’oiseaux de paradis. Mais aujourd’hui, « Ces forêts se trouvent à un point critique pour l’avenir, car la Papouasie est le nouvel eldorado pour les investisseurs en aménagement du territoire et en industries extractives », explique David Gaveau, écologiste du paysage et principal auteur de l’étude. Gaveau, qui a été expulsé d’Indonésie en 2020 après avoir publié des estimations des ravages des feux de forêt de 2019 en Indonésie qui dépassent bien plus que les chiffres du gouvernement indonésien, dirige maintenant la « Tree Map », une entreprise basée en France qui analyse la perte des forêts tropicales.
Le gouvernement indonésien a incorporé la Nouvelle-Guinée occidentale, anciennement connue sous le nom d’Irian Jaya, en 1969, huit ans après que les Papous ont officiellement déclaré leur indépendance des Néerlandais. (La moitié orientale de l’île fait partie d’un pays distinct, la Papouasie-Nouvelle-Guinée). De la taille de l’Irak, elle présente une grande diversité ethnique, avec environ 200 tribus indigènes et autant de langues.
C’est aussi de loin la région la plus pauvre d’Indonésie. Ses deux provinces, Papua (Papouasie) et Papua Barat (Papouasie occidentale), ont des taux de pauvreté de 27 % et 22 %, selon l’agence statistique du pays. Le gouvernement indonésien promet que l’autoroute Trans-Papua aidera à atténuer cette pauvreté et à répartir plus équitablement le développement des infrastructures. S’étendant sur près de 4 000 kilomètres à travers l’île, l’autoroute relie les villes côtières de Sorong, Jayapura et Merauke (voir la carte ci-dessous).
En route vers le développement
La Trans-Papua, qui relie trois centres côtiers de la Nouvelle-Guinée occidentale, a attiré des plantations et des mines et a stimulé le développement des villes. Un passage de 190 kilomètres traverse le Parc national de Lorentz.
Mais il génère aussi bien des conflits que du développement. Les entreprises minières et les compagnies d’huile de palme qu’elle attire ont défriché les terres des Papous indigènes, souvent sans leur consentement, ce qui a suscité colère, protestations et attaques violentes. Deux personnes ont été tuées et des machines ont été incendiées lors de la dernière de ces attaques, le 8 septembre dans la régence de Yahukimo. Une attaque similaire en 2018 avait fait 20 morts. L’Armée de libération nationale de la Papouasie occidentale – la branche militaire du Mouvement de la Papouasie libre, un groupe séparatiste – a revendiqué la responsabilité de ces actions. Les attaques ont retardé la construction ; jusqu’à présent, seule la moitié de la route a été asphaltée.
Le passage le plus controversé de la route, long de 190 kilomètres, traverse le Parc national de Lorentz, un site du Patrimoine mondial et l’une des plus grandes zones protégées d’Asie du Sud-Est. En août, l’UNESCO a demandé à l’Indonésie de fermer ce passage à la circulation pendant que le gouvernement élabore un plan pour atténuer l’impact du passage, comme il est obligé de le faire, selon les règles de l’UNESCO.
Mais l’autoroute aura également des effets importants ailleurs. L’étude de Gaveau et de ses collègues a révélé une corrélation claire entre la construction de la route et l’expansion massive des plantations industrielles à Merauke et Boven Digoel et le développement rapide de Kenyam et Dekai, deux villes situées au cœur de la Papouasie. L’autoroute a également attiré des mineurs d’or illégaux, qui extraient souvent l’or en le dissolvant dans du mercure, qu’ils rejettent ensuite dans l’environnement.
Les deux provinces semi-autonomes se sont engagées à préserver leurs richesses naturelles. Dans la déclaration de Manokwari de 2018, elles visaient à réserver au moins 70 % de leurs terres à la protection, tout en améliorant les conditions de vie des communautés autochtones. « C’est un objectif ambitieux », commente Yubelince Runtuboi, chercheur en politique forestière à l’Université de Papouasie-Nouvelle-Guinée. De nombreuses plantations ont été concédées avant la déclaration et il pourrait être difficile de les révoquer. Et les gouvernements locaux sont déterminés à développer de nouveaux villages et villes dans leur quête de développement économique, explique Runtuboi. Par conséquent, écrit-elle dans un article de 2018, les forêts de plaine de Papouasie « sont susceptibles de subir une immense pression. »
La déforestation rapide observée ailleurs en Indonésie, premier producteur mondial d’huile de palme, n’est pas de bon augure. Un modèle élaboré par Gaveau et ses coauteurs a montré que, dans le pire des cas, la Nouvelle-Guinée occidentale perdrait environ 4,5 millions d’hectares de forêt, soit une région de la taille du Danemark, d’ici 2036. « Grâce aux grandes quantités de forêts de plaine et au climat propice à l’huile de palme, la Papouasie pourrait facilement devenir la prochaine frontière agricole pour les années à venir », déclare M. Gaveau.
Quant à savoir dans quelle mesure la route Trans-Papua atténuera la pauvreté, il est difficile de le savoir. Une étude réalisée par Cahyo Pamungkas, sociologue à l’Institut indonésien des sciences, a montré qu’elle a surtout aidé les migrants venus d’ailleurs en Indonésie à distribuer des marchandises dans les zones rurales, parfois en surclassant les produits locaux. Par exemple, les porcs élevés par les migrants remplacent les porcs Wamena, un type de sanglier élevé localement. Plus la surface de la route est meilleure, plus l’exploitation forestière se fait à proximité, a constaté Pamungkas. L’autoroute « profite plus aux capitalistes », dit-il.
Selon les critiques, les richesses minérales de la Papouasie – y compris Grasberg, la plus grande mine d’or du monde – n’ont guère profité à la population locale. Le développement d’une nouvelle mine d’or à proximité de l’autoroute Trans-Papua, nommée le Wabu Block, fait aujourd’hui l’objet d’un débat animé et de protestations. (Les activistes ont récemment allégué que Luhut Pandjaitan, un général à la retraite et le ministre indonésien de coordination des affaires maritimes et des investissements, a des intérêts commerciaux dans la mine, une accusation que Pandjaitan nie).
Pour Sophie Chao, anthropologue à l’université de Sydney qui a vécu pendant deux ans avec le peuple Marind à Merauke, le tableau n’est pourtant pas noir ou blanc. La nouvelle route a entraîné la destruction de forêts pour faire place à des plantations d’huile de palme, y compris des lieux sacrés qui ont été défrichés sans le consentement des Marind, dit-elle. Mais la route apporte aussi “de nouvelles personnes, de nouvelles idées, de nouvelles marchandises dans les villages”, explique Mme Chao, ainsi que de l’aide humanitaire et des emplois. “C’est un mélange d’espoir et d’anxiété”, conclut-elle.
Pour trouver un équilibre entre les impacts positifs et négatifs, il faut un dialogue plus approfondi avec les populations autochtones que ce qui a été fait jusqu’à présent, affirment Gaveau et ses collègues dans leur nouvel article. Theo Hesegem, qui dirige le Réseau de plaidoyer pour le respect de la loi et des droits de l’homme de Papouasie Haute-Terre Centrale , est d’accord. “Il ne sert à rien qu’ils construisent l’infrastructure sans nous écouter”, dit Hesegem. “L’autoroute Trans-Papua ne sera pas terminée”. (*)
Dyna Rochmyaningsih est une journaliste installée à Deli Serdang, Indonésie.